Voltaire et les valeurs de tolérance

par Pierre GUERRAZ, Inspecteur d’Académie Honoraire, ancien Vice-Président, ancien trésorier de la section Paris XIII de l’AMOPA

Chevalier de l’Ordre du Mérite national et Commandeur des Palmes académiques

Sous la forme d’un essai, notre conférencier réinterrogera l’auteur sur l’une des valeurs fondamentales qu’il aura défendue tout au long de sa vie par ses écrits et son action : la Tolérance !

Pour ce faire, il s’est rendu au courant de l’été 2019 à Ferney-Voltaire où il est resté plusieurs jours, se plaçant dans les pas de l’écrivain pour y découvrir sa vie et son œuvre.

Un témoignage sur une époque marquée par l’intolérance et sur un homme de cœur, d’esprit et d’action qui n’a cessé de la combattre.

Voltaire et les valeurs de tolérance, tel est le titre de l’Essai que je vais présenter ce soir, un Essai, c’est-à-dire une étude qui vise moins à traiter ce sujet d’ordre philosophique de façon exhaustive qu’à réinterroger l’une de nos valeurs fondamentales si bien défendues par l’auteur.

J’ai pensé que Voltaire, homme d’action, philosophe et écrivain, pourrait nous aider dans cette démarche.

Je me propose de vous faire d’abord mieux connaître l’Homme en le situant dans son époque et dans son environnement familial, intellectuel, social.

Puis, nous le suivrons dans son action contre l’injustice et les fanatismes. Nous nous en tiendrons à deux des causes emblématiques qu’il a défendues parmi bien d’autres : l’affaire CALAS et l’affaire du chevalier de La Barre.

Je rappelle que c’est au pied de la statue du chevalier de la Barre, square Nader à Paris 18e, que le 8 décembre dernier a été célébré le 114e anniversaire de la loi de 1905. Enfin, j’aborderai l’œuvre philosophique de Voltaire et son expression littéraire.

LA VIE DE VOLTAIRE

VOLTAIRE, AROUET de son nom de famille dont Voltaire est une anagramme complétée par les lettres L et J. Je m’explique : François Marie AROUET, Le Jeune, brillant latiniste transforma selon l’usage latin, le U d’AROUET en V, puis ajoute le L et le I empruntés à le Jeune, puisqu’en latin primitif le i et le j étaient confondus. Agitez, recomposez et vous trouverez VOLTAIRE.

Voltaire, né à Paris en 1694, est le fils d’un notaire appartenant à la grande bourgeoisie parisienne.

Il poursuit ses humanités au collège Louis Le Grand, chez les jésuites, où il se montre aussi indiscipliné que brillant, puis s’oriente vers des études de droit. Très vite il fréquente les salons parisien s, y noue amitiés et inimitiés…

En 1717 une satire contre le Régent lui vaut d’être embastillé 11 mois. En 1718 il livre sa première tragédie Œdipe, bientôt suivie de poèmes épiques « La Henriade » et d’autres tragédies comme Brutus en 1730 et Zaïre en 1732. Après un exil de 3 ans en Angleterre, il publie en 1734 « Les lettres philosophiques » où il loue l’esprit de liberté qui règne dans ce pays, provoquant un scandale dans une France encore soumisse à un régime de monarchie absolue.

Une lettre de cachet l’oblige à s’enfuir en Champagne, à Cirey, où il s’installe chez madame Du Chatelet. Il commence bientôt à correspondre avec le futur Frédéric II de Prusse, écrit de nouvelles tragédies , Mahomet, puis Mérope, tragédies qui ne marqueront pas leur siècle … mais Voltaire a une chance, l’un de ses amis et ancien condisciple, le marquis d’Argenson, devenu un ministre influent, l’appelle à Versailles et le fait nommer en 1744 historiographe du roi.

Ce sont les contes philosophiques, d’abord Zadig en 1747, plus tard Candide en 1759 qui viendront asseoir la notoriété philosophique et littéraire de Voltaire, que son « Traité sur la tolérance » en 1763 et son « Dictionnaire philosophique portatif » renforceront.

Elu à l’Académie française en 1746, il connaîtra la disgrâce dès 1747. Il parcourra alors l’Europe, s’arrêtant 3 ans à la Cour de Frédéric II de Prusse à partir de 1750. S’installant aux Délices, près de Genève, en 1755, il doit quitter les lieux dès 1757 après avoir écrit l’article « Genève » pour l’Encyclopédie, dans lequel il critiquait sévèrement la cité suisse.

1758 marque la fin de son errance avec l’achat de la propriété de Ferney à la frontière franco-suisse, mais en territoire français, où il vivra 20 années, reconnues parmi les plus fécondes de son existence. C’est là que nous le suivrons.

Je rappelle que pendant ces 20 années, il écrira Candide, le Traité sur la tolérance, le Dictionnaire philosophique portatif. Pendant ces 20 années, il défendra les Calas, le Chevalier De la Barre, Sirven et bien d’autres victimes du fanatisme et de l’intolérance.

Voltaire a 64 ans lorsqu’il s’installe à Ferney.

Ferney est alors un modeste hameau de 150 âmes. Plantons le décor : nous sommes dans le piémont jurassien, le château se trouve sur les hauteurs dans une zone marécageuse. L’activité y est essentiellement agricole. Voltaire, homme d’affaires avisé, influent, assurera la prospérité des lieux en y favorisant l’installation d’activités artisanales et/ou manufacturières (horlogerie, travail de la soie, etc.). Des exonérations fiscales obtenues sur intervention de Voltaire auprès du parlement local aideront le développement de l’industrie et du commerce.

Au bout de 20 ans, lorsque Voltaire quittera les lieux, le hameau se sera transformé en un bourg puissant et bien  organisé comptant plus de 1200 habitants. Vous l’avez compris, ce développement fut porté au crédit de Voltaire qui y jouit d’une grande popularité. D’autant que l’intense activité intellectuelle de notre auteur et son influence croissante en Europe attire jusqu’à Ferney les esprits des lumières et aussi les mondains en visite. Enfin, notons qu’au plan personnel, Voltaire vit paisiblement en ces lieux avec Madame Denis (sa nièce et compagne) qui occupait la moitié du château, dont elle devint l’héritière au décès de l’auteur.

Voilà  le cadre paisible d’une existence… trépidante. En effet les causes défendues par Voltaire allaient lui conférer une notoriété bientôt européenne.

LES AFFAIRES

Et d’abord l’affaire Calas

Nous sommes le soir du 13 octobre 1761, rue des Filatiers à Toulouse où vit une honnête famille de commerçants protestants, les Calas. Jean Calas et sa femme ont quatre fils et deux filles. Le plus jeune des fils Donat est en apprentissage à Nîmes, un autre Louis a abjuré la religion protestante et ne se montre plus guère chez ses parents ;  les deux autres Marc-Antoine et Pierre dînent chez eux ce soir là avec un invité Gaubert Lavaysse, fils d’un célèbre avocat de Bordeaux, ami des Calas.

En fin de soirée, Pierre descend raccompagner son ami Gaubert et remarque que la porte de la boutique est entrebâillée. Il s’approche, et horreur ! il découvre le corps de son frère Marc-Antoine, étendu à terre, sans vie.

On envoie chercher le chirurgien qui ne peut que constater le décès. Alerté par la rumeur publique, c’est bientôt le capitoul, magistrat municipal de la ville de Toulouse qui se présente. Une marque au cou de Marc-Antoine confirme la première impression rapportée, celle du chirurgien : Marc-Antoine aurait été étranglé. Le capitoul fait emmener tout le monde en prison : les Calas, le jeune Lavaysse, la servante, catholique, de la famille. Les interrogatoires commencent, car il y a eu crime : un crime calviniste sans doute, du moins c’est ce que répand la rumeur. D’autant que Marc-Antoine était sur le point d’abjurer la religion protestante, comme l’avait fait son frère Louis. Mais on ne peut accuser sans preuve ! Alors on utilise une procédure en vogue à l’époque, celle du monitoire. Le monitoire c’est la lettre officielle d’une autorité ecclésiastique invitant sous peine de sanction religieuse tous ceux qui sont instruits d’un crime ou d’un délit, dont l’auteur est inconnu, à venir révéler ce qu’ils savent. Le monitoire est lu en chaire à l’église… et les témoignages issus du monitoire sont recevables par la justice civile…

Très vite, on entend soutenir que la religion protestante ordonne aux pères et mères d’égorger leurs enfants quand ils veulent devenir catholiques, que dans ces cas un bourreau est désigné, et l’on pense au jeune Lavaysse venu tout exprès de Bordeaux pour étrangler ou pendre (on ne savait pas, mais quelle importance ?) le jeune Marc-Antoine. Le parlement de Toulouse bientôt saisi de l’affaire casse pour vice de forme la procédure initiale engagée par les capitouls de Toulouse. Mais les préjugés subsistent. Tous les zélés veulent déposer. L’un avait vu ce soir là dans l’obscurité à travers le trou de la serrure de la porte des Calas des hommes qui couraient, un autre avait même entendu la voix de Marc-Antoine se plaignant d’avoir été  étranglé… et Voltaire en passe bien sûr, mais conclut sur cet épisode : « Voilà bien le peuple ! Voilà un tableau trop fidèle à ses excès ! »

Les capitouls décident de donner à Marc-Antoine une sépulture catholique et de l’enterrer dans le cimetière catholique de la paroisse Saint Etienne, cérémonie qui se déroule en grande pompe, au milieu d’une foule considérable. La thèse du suicide, un instant évoquée, est devenue improbable, tandis que la pression de l’opinion publique ne cesse d’augmenter…

Le 9 mars 1762, Jean Calas est condamné à la peine capitale par le parlement de Toulouse par 8 voix contre 5, c’est-à-dire à 1 voix près, puisque ce type de sentence devait obtenir au moins 2 voix de majorité. Il sera exécuté le 10 mars 1762 en place Saint Georges. Jean Calas protesta une dernière fois de son innocence en montant sur l’échafaud. Un bourreau lui broya successivement les  4 membres à l’aide d’une grande barre carrée. Puis il fut roué ! En vain un dominicain s’employa à lui arracher une abjuration. Au bout de 2 heures, il fut étranglé, puis brûlé sur le bûcher. Ses cendres furent dispersées…

Faute d’aveux, le 18 mars, les juges acquittaient madame Calas, le jeune Lavaysse et la servante catholique. Seul le jeune Pierre écopa d’une peine de bannissement à perpétuité…

Un négociant marseillais, Dominique Audibert avait pris la route de Toulouse à Genève dès  la fin… des cérémonies… Le 20 mars il rencontrait Voltaire et lui racontait « l’horrible aventure » L’affaire Calas commençait. Elle allait être en 1763 à l’origine du Traité sur la tolérance. Son influence fit énorme. C’est Voltaire qui prépara les requêtes des différents membres de la famille au Chancelier et au Conseil d’Etat en vue d’obtenir leur réhabilitation.

Il fallait d’abord, je cite Voltaire, que « le parlement de Toulouse ait le courage de publier les procédures : l’Europe les demande ». Dès le 23 juillet 1762, il s’associe à la requête de madame Calas mère en demandant que « le genre humain soit instruit jusque dans les derniers détails de tout ce qu’a pu produire le fanatisme, cette peste exécrable du genre humain. » 

L’arrêt du parlement de Toulouse sera cassé par le Conseil d’Etat le 7 mars 1763 et la famille Calas réhabilitée le 9 mars 1765.

Autre affaire emblématique, celle du chevalier de la Barre

Nous sommes le 9 août 1765, à Abbeville dans la Somme. Dans la nuit qui a précédé, sur le Pont Neuf, des coups ont été portés avec un instrument tranchant sur un crucifix, tailladant le buste, la jambe et un orteil du Christ. Les habitants indignés se rassemblent sur les lieux. L’évêque d’Amiens vient en personne y faire amende honorable. Très vite, les autorités ecclésiastiques décident de publier un monitoire. 70 témoins sont cités, mais aucun ne donne d’indication précise. C’est alors qu’une machination se met en place.

A Abbeville, l’abbesse de Willancourt était importunée depuis un certain temps par un habitant du nom de Belleval, lieutenant d’un petit tribunal local. A la même époque, elle hébergeait son neveu, petit-fils d’un lieutenant général des armées, le chevalier de la Barre. Ce dernier prit naturellement le parti de sa tante agacée par l’attitude de Belleval. Belleval résolut de se venger.

Ayant appris que le chevalier de la Barre et ses amis, les jeunes Moisnel et d’Etallonde étaient passés courant juillet devant une procession de capucins sans ôter leur chapeau, il chercha à faire regarder cet oubli de bienséance comme une insulte préméditée à la religion et à les faire soupçonner … d’être les auteurs de la mutilation du crucifix du Pont Neuf. Le 26 août les 3 jeunes gens sont  décrétés d’arrestation, d’Etallonde s’est déjà enfui. Restent le jeune Moisnel, 17 ans, qui avoue tout ce que l’on veut lui faire dire et le chevalier de la Barre, 20 ans, qui n’avoue que des peccadilles en distinguant toujours  impiété et propos impies.

Mais monsieur Belleval  est à la manœuvre. On découvre chez le chevalier des ouvrages libertins tels que « de l’Esprit » d’Helvétius et… le dictionnaire philosophique de Voltaire… De quoi emporter la conviction du tribunal qui condamne le 28 février 1766 de la Barre et, par contumace, d’Etallonde à faire amende honorable, à avoir la langue coupée et à être décapités sur la grand place. En appel le parlement de Paris confirme la sentence le 4 juin 1766

De la Barre sera exécuté à Abbeville le 1er juillet 1766. Sur l’échafaud, il confie au père dominicain qui l’accompagne « je ne croyais pas qu’on pût faire mourir un gentilhomme pour si peu de chose. »

D’Etallonde, réfugié en Prusse, sera recommandé par Voltaire à Frédéric II qui lui accordera un brevet d’officier et lui permettra de faire carrière dans son armée.

Moisnel,  qui ne se vit infliger qu’une peine mineure, continuera sa vie en province.

Dès qu’il a connaissance de ces faits, Voltaire se met à œuvrer à la réhabilitation du chevalier de la Barre et à celle d’Etallonde. On retrouve d’Etallonde à Ferney en avril 1774. Voltaire est sur le point d’obtenir du chevalier Maupeou la révision de son procès, mais l’avènement de Louis XVI et le changement de ministère l’en empêchent. Dans l’impossibilité de faire réviser le procès par cette voie, il prépare une requête au Roi. Ce sera le célèbre « Cri du sang innocent » paru en juillet 1775.

Finalement d’Etallonde est gracié en décembre 1788. Quant au chevalier de la Barre, sa réhabilitation sera prononcée solennellement par la Convention en 1794. A noter que la législative avait supprimé le crime d’impiété dès 1791

                         L’ŒUVRE PHILOSOPHIQUE

De l’action à la réflexion…

La défense de telles causes allait inspirer et nourrir l’œuvre philosophique et littéraire de Voltaire. Le titre complet du Traité sur la tolérance publié en 1763 est d’ailleurs le suivant : « Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas » Indirectement, ces événements judiciaires ne seront pas non plus sans influence sur l’écriture des Contes philosophiques, notamment de Zadig, de Candide et sur les caractères prêtés à leurs personnages.

Mais revenons au Traité sur la tolérance. Certains voient dans ce texte  l’œuvre majeure de Voltaire. Avant d’en aborder l’aspect philosophique, je voudrais en souligner la qualité littéraire. C’est un texte qui va crescendo, qui emporte et qui n’en finit pas de gagner en densité, en intensité,  en luminosité, semblant épouser une spirale qui monte vers l’infini, vers Dieu, le Dieu de Voltaire que l’auteur interpelle dans une admirable « Prière à Dieu », chapitre XXIII du Traité, que je vous invite à lire ou  à relire. J’aurai l’occasion de faire plusieurs fois référence à cette œuvre.

Pour la contextualiser, il convient de rappeler qu’au XVIIIe siècle, dans le midi languedocien, on continue de fêter, chaque année, par des feux de joie, le massacre de la saint Barthélémy qui, en août  1572, avait provoqué dans la région la mort de 4000 citoyens considérés comme hérétiques, ce qui fonde les réflexions suivantes de Voltaire dans l’un des premiers chapitres du Traité « la fureur qu’inspirent l’esprit dogmatique et l’abus de la religion chrétienne mal entendue (mal comprise) a répandu autant de sang, a produit autant de désastres en Allemagne, en Angleterre et même en Hollande qu’en France : cependant aujourd’hui la différence des religions ne cause aucun trouble dans ces Etats, et plus loin « sortons de notre petite sphère et examinons le reste de notre globe ».

La réflexion de Voltaire sur la tolérance s’inscrit non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. C’est ainsi qu’il évoque la façon dont cette valeur était pratiquée dans la Grèce antique. Il note que les hommes reconnaissaient alors tous un Dieu suprême, mais qu’ils lui associaient une quantité prodigieuse de divinités inférieures, dieux, voire demi-dieux, parfois empruntés à d’autres peuples. Ainsi les Troyens adressaient des prières aux dieux censés combattre pour les Grecs. Il estime que les Romains savaient aussi faire preuve de beaucoup de tolérance, « jamais César qui nous donna des fers, des lois et des jeux, ne voulut nous forcer à quitter nos druides pour lui, tout grand pontife qu’il était d’une nation qui était notre souveraine ».

Et il ajoute : « les vrais ennemis des chrétiens étaient les juifs dont ils commençaient à se séparer. On sait quelle haine implacable portent tous les sectaires à ceux qui abandonnent leur secte » et précise : « si vous disiez que c’est un crime de ne pas croire à la religion dominante, vous accuseriez donc vous-mêmes les premiers chrétiens, vos pères, et vous justifieriez ceux que vous accusez de les avoir livrés aux supplices ».

                         LE MONDE DE VOLTAIRE

Dans la 2e partie du Traité ? Voltaire précise sa conception du monde.

Il s’y révèle déiste et chrétien, indulgent et  « utilitariste » au sens philosophique. Je rappelle que l’utilitarisme est une doctrine qui fait de l’utile un principe et la norme de toute action individuelle et/ou sociale. Car Voltaire accepte non seulement la religion, mais aussi la superstition si elles peuvent être utiles à l’ordre social. Dans le même temps, il porte une charge violente contre l’athéisme. Voici ce qu’il écrit : « l’homme a toujours eu besoin d’un frein, et quoiqu’il fût ridicule de sacrifier aux fauves, aux sylvains, aux naïades, il était bien plus raisonnable et plus utile d’adorer ces images fantastiques de la divinité que de se livrer à l’athéisme. Un athée qui serait raisonneur, violent et puissant, serait un fléau aussi funeste qu’un superstitieux sanguinaire ».

Monsieur Arouet, ces positionnements sont ils compatibles avec les valeurs qui vous sont prêtées de tolérance, d’indulgence ? Fort heureusement, vous nous avez apporté des réponses… en nous questionnant.

Vous interrogez ainsi vos lecteurs au chapitre XX : « de toutes les superstitions, la plus dangereuse, n’est ce pas celle de haïr son prochain pour ses opinions ? » et vous ajoutez : »ne serait-il pas encore plus raisonnable d’adorer le Saint Nombril, le Saint Prépuce que de détester et de persécuter son frère ? » Nous vous rejoignons aussi lorsque, chapitre XXI intitulé « Vertu vaut mieux que science » vous nous faites savoir : « Ce serait le comble de la folie de prétendre amener tous les hommes à penser d’une manière uniforme sur la métaphysique. On pourrait beaucoup plus aisément subjuguer l’univers entier par les armes que subjuguer tous les esprits d’une seule ville ». Que faut-il ? « Etre indulgent »

Nous avons compris votre message, monsieur Arouet. On peut avoir des convictions, mais nous n’avons pas à les imposer aux autres. C’est cela l’esprit de tolérance. Vous le dites superbement dans votre Prière à Dieu : « Dieu de tous les êtres, de tous les mondes, de tous les temps… tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent  nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil » et de conclure : « puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères !»

Je voudrais souligner pour terminer que toute l’œuvre de Voltaire est traversée par les valeurs de tolérance et d’indulgence. C’est particulièrement le cas des Contes philosophiques où, en outre, l’imaginaire et le fabuleux ne cessent de le disputer à la réalité et à la critique sociale en laissant éclater le génie satirique de l’auteur.

Pour vous faire sourire…et réfléchir. Quand Candide arrive au Surinam, il rencontre un nègre étendu par terre, ce qui donne lieu au dialogue qui suit :

Candide : « Eh mon Dieu, que fais-tu là mon ami dans l’état horrible où je te vois ? » (il manquait seulement à notre homme la jambe gauche et la main droite)

Réponse du nègre : « quand nous travaillons aux sucreries et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe ; je me suis trouvé dans les deux cas » et d’ajouter : « c’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ».

Et cet autre exemple extrait de Zadig, dont les mérites et les infortunes, les échecs et les réussites tracent un parcours de vie comparable à celui de Voltaire.

Zadig, premier ministre de Babylone, eut à trancher une grande querelle qui durait depuis 1500 ans entre deux sectes qui se partageaient l’empire.

Voltaire : « l’une prétendait qu’il ne fallait jamais entrer dans le temple de Mithra* que du pied gauche ; l’autre avait cette coutume en abomination, et n’entrait jamais que du pied droit. On attendait le jour de la fête solennelle du feu sacré pour savoir quelle secte serait favorisée par Zadig. L’Univers avait les yeux fixés sur ses 2 pieds, et toute la ville était en agitation et en suspens… Zadig entra dans le temple… en sautant à pieds joints, et il prouva ensuite, par un discours éloquent, que le dieu du ciel et de la terre ne fait pas plus de cas de la jambe gauche que de la jambe droite ».

Une autre façon de dire que tous les hommes sont des frères.

*Mithra : grande divinité des Perses. Génie des éléments et juge des morts, au centre d’une religion qui promettait l’immortalité aux initiés