Nous avons visité ce lieu deux fois, en novembre 2015 et en décembre 2017 grâce à Monsieur Marc Soléranski qui nous en dressé passionnément l’histoire

Souvent, les connaissances du public se limitent à l’Académie Française aux dépens des autres académies qui constituent l’Institut de France. La visite des bâtiments du quai Conti permet de mieux connaître l’Histoire et le fonctionnement de ces institutions. La tradition académique européenne remonte à la Renaissance : après la prise de Constantinople en 1453, qui place l’Est de la Méditerranée sous la domination turque, Les Médicis fondent au Nord de Florence la première académie d’occident avec le philosophe Marsile Ficin, le poète Ange Politien, le savant Pic de la Mirandole, le peintre Botticelli… Le nom de l’Academia, qui s’inscrit dans la volonté de faire renaître le patrimoine grec antique conquis par les Ottomans, fait référence au jardin d’Athènes où se réunissaient les disciples de Platon (et, par extension, l’école platonicienne).
Sur le modèle florentin, bien d’autres corporations d’intellectuels sont fondées au XVIe siècle en reprenant ce nom d’ « académie » qui devient progressivement un nom commun. En France, c’est en 1635 que le cardinal de Richelieu fonde l’Académie Française à partir du cercle de « beaux esprits » réunis chez Valentin Conrart rue Saint-Martin. Dans le système corporatiste de l’Ancien Régime, le statut d’académicien permet de vivre de l’écriture sous protection royale, mais forme également un outil de contrôle du pouvoir sur la création littéraire, dramatique, philosophique et morale. Sous la régence d’Anne d’Autriche, naît l’Académie royale de peinture et de sculpture qui permet à des artistes inspirés du modèle italien d’échapper aux contraintes des corporations de métiers manuels.
Ces deux premières académies sont suivis de cinq autres, fondées sous le règne de Louis XIV (Inscriptions et Belles Lettres, Architecture, Académie de France à Rome, Musique et Sciences). Le XVIIe siècle représente donc l’âge d’or des académies royales en France. Toutes sont installées dans le palais du Louvre, libéré de la cour ayant quitté Paris pour Versailles. Parallèlement, de l’autre côté de la Seine, les bâtiments du quai Conti sont édifiés de 1662 à 1688 par les architectes Le Vau et D’Orbay non pour abriter les académies, mais afin de respecter le testament de Mazarin : au centre, une chapelle à coupole doit accueillir le tombeau du cardinal, à l’Est (emplacement de la tour de Nesle) est prévue la première bibliothèque publique de Paris (dite Bibliothèque Mazarine) le reste des bâtiments est affecté au Collège des Quatre Nations pour l’éducation des enfants nobles venus des nouvelles régions annexées par la France. La Révolution Française ferme le Collège des Quatre Nations en 1791 et supprime les académies en 1793, année même de l’inauguration du « Museum » (le musée du Louvre).
Pourtant, les académies renaîtront vite de leurs cendres. Malgré les bouleversements politiques de la Ière République, l’Institut national est fondé en remplacement des académies royales : il est divisé en trois classes (Sciences physiques et mathématiques / Sciences morales et politiques / Littérature et Beaux-arts) et se réunit pour la première fois au Louvre le 4 avril 1796. Sept ans plus tard, Napoléon apporte de profonds changements à l’Institut : le nombre de classes est modifié, un uniforme est imposé aux membres (avec redingote, bicorne et épée) et a survécu jusqu’à nos jours avec le surnom « d’habit vert ». En 1805, sous le Premier Empire, l’Institut quitte le Louvre pour s’installer au quai Conti dans l’ancien Collège des Quatre Nations. Il faut attendre la Restauration monarchique de 1815 pour que les classes composant l’Institut de France reprennent le nom d’ « académies » que nous utilisons encore aujourd’hui : d’abord au nombre de quatre (l’Académie Française comptant quarante membres comme sous l’Ancien Régime, Inscriptions et Belles Lettres, Beaux-Arts et Académie des Sciences) leur nombre est amené à cinq en 1832 avec la création de l’académie des Sciences morales et politiques à l’initiative de Guizot.
L’ancienne chapelle du XVIIe siècle est aménagée par Vaudoyer pour être la salle des séances de l’Institut et une aile est ajoutée par Le Bas en 1839 pour les salles de travail des académiciens.Souvent critiquées pour son esprit conservateur (les femmes n’y furent admises que dans la seconde moitié du XXe siècle), quel rôle joue l’Institut de France aujourd’hui ? La première mission confiée par Richelieu aux membres de l’Académie Française était la rédaction d’un dictionnaire pour réglementer et unifier la langue française. La première édition demanda plus d’un demi-siècle de travail. Actuellement, les « immortels » travaillent sur la neuvième édition du dictionnaire de la langue française. Comme les quatre autres académies, l’Académie Française remet des prix. Très convoités, les prix des académies permettent aux écrivains et à nombre d’intellectuels de percevoir une rémunération: l’Académie des Beaux-Arts soutient les artistes plasticiens comme les professionnels de la musique ou de l’audiovisuel, les Inscriptions et Belles Lettres financent la recherche archéologique, l’Académie des Sciences subventionne les laboratoires de recherches, l’académie des Sciences morales et politiques offre des consultants aux commissions parlementaires. A ces responsabilités, s’ajoute un patrimoine très important: outre la villa Médicis de Rome et l’hôtel Rothschild de Londres, des monuments historiques (château de Langeais, villa Kérylos, manoir de Kerazan…) et d’exceptionnelles collections artistiques (Jacquemart-André, Marmottan, Claude Monet, Dosne-Thiers…) sont propriétés de l’Institut suite à des legs de particuliers prenant modèle sur l’héritage du duc d’Aumale qui confia aux académies le château de Chantilly et le musée Condé en 1897. La bibliothèque de l’Institut, fondée sous le Premier Empire et mitoyenne de la bibliothèque Mazarine, est riche de 1 500 000 imprimés, 7 600 manuscrits et des objets scientifiques. Autant de trésors insoupçonnés qui font de la coupole du quai Conti la partie émergée d’un iceberg au coeur du savoir humain.
Texte ; conférence de Monsieur Marc Soléranski, historien d’art et conférencier national
Photos Bernard Gomel








