Par Bertrand THÉBAULT, ingénieur CESTI-SUPMECA. Ingénierie transports. Ancien Expert agréé en Sécurité des Transports Publics Guidés. (Sur la barge du Crous à l’occasion de l’Assemblée générale de 2019)

PRÉHISTOIRE DU TRANSPORT EN COMMUN
La notion de ville ordonnée apparaît à l’époque romaine (Villa, bien que ce terme désigne un domaine privé). Puis les villes se sont structurées selon des plans correspondant aux conditions locales, de sécurité, topographiques, météorologiques, et sociales.
Au cours des siècles, les distances entre lieux de résidence, de travail, de chalandise et de loisirs, et les temps de trajet se sont accrus.
Les citadins ou leurs autorités ont appliqué aux déplacements intra urbains les principes qu’ils avaient adoptés pour les déplacements interurbains par diligence, apparus sous Louis XI avec la création du Service Royal de la Poste, puis en 1662, avec le carrosse à cinq sols inventé par Blaise Pascal.
Progressivement, les modes de déplacements sont devenus multiples et concomitants, dépendant de la distance, du nombre de personnes se déplaçant ensemble, de leur mobilité (âge, état de santé, transport de bagages) du type de leur activité, de leur horaire… Et de la perception de leur valeur du temps (-> page 3)
Ces modes de déplacements sont de 2 types : les transports individuels, dont la marche, et les transports en commun.
La suite de ce court article se concentre sur le deuxième type, en évoquant ses origines, en insistant sur les plus importants ; autobus, tramway, métro, et donc en négligeant les modes marginaux (Transport fluvial).
LES TRANSPORTS EN COMMUN URBAINS
LE PREMIER TRANSPORT URBAIN
La définition complète devrait être Transport collectif urbain à trajet et tarif fixes et à intervalle régulier, ce qui le distingue du transport suburbain et régional, qui fonctionne à l’horaire.
Il est apparu à Nantes en 1825 à l’initiative de Stanislas Baudry, sous la forme de coches hippomobiles et sous le nom d’OMNIBUS, du latin datif pluriel omnibus, à tous. Très rapidement imité dans plusieurs villes de France et du monde, il ne tarde pas à être guidé par des rails puis motorisé, d’abord par vapeur, puis par moteur à explosion, puis électrique.
LE ROULEMENT – GUIDAGE

Les roues des coches ou voitures étaient en bois dont certaines à bandage ferré. La surface de roulement était en terre battue, voire en pavés de bois ou de pierre. Le bruit et la résistance au roulement étaient très élevés et le sol se creusait d’ornières irrégulières et inconfortables.
Depuis l’époque romaine (voir les rues de Pompéi) on savait que le phénomène d’orniérage avait aussi un avantage : Le guidage de la voiture, qui dissuadait le cheval de vaguer.
Dans les mines de fer en Alsace au 17ème siècle, mais aussi ailleurs, on avait développé un système de rails dans les galeries étroites pour supporter les charriots dont une file de roues étaient à gorge. On adopta ensuite les roues à un seul boudin, et à partir de la mesure de la largeur du corps humain… et chevalin, on normalisa les écartements.
L’avantage immédiat du roulement fer sur fer par rapport au roulement pneu est la faible résistance au roulement. Du moins en alignement droit, car en courbe, elle croit en raison inverse du rayon à cause du caractère non tangentiel de la roue par rapport au rail. Malgré cela, il en résulte globalement une bien moindre dépense d’énergie.
Cette faible résistance au roulement est due à la qualité géométrique des surfaces et à la dureté des matériaux en contact, laquelle est d’ailleurs accrue par la propriété qu’ont les aciers de se consolider sous l’effet du roulage.
Le roulement sur pneus, 3 fois plus gourmand en énergie, nécessite, sauf dans le cas de la Micheline[1], un système complexe et lourd de roues de guidage. Il présente cependant deux avantages :
- l’adhérence, 3 fois meilleure, permettant des rampes plus fortes et un freinage plus efficace,
- le bruit et les vibrations, moindres.
LE TRAMWAY
Né aux USA, très répandu entre fin 19ème et mi 20ème siècle, l’héritier de l’omnibus guidé motorisé, apparaît en France à St Etienne en 1881. Entre les années 50 et 80, l’automobile chasse les tramways des villes, sauf à St-Etienne, Lille, San Francisco, en Europe de l’Est et du Nord. A partir des années 80, il revient en grâce, car devant les problèmes de pollution et d’encombrements, on veut réduire la place de l’auto.
Alors que dans les années 80, on prévoyait que seules 8 villes de France étaient éligibles au tramway, plus de 20 villes en sont maintenant pourvues. Dans le monde, on en compte plus de 90.
A son coût de construction, 25 à 30 millions d’euros par km, très inférieur à celui du métro, il convient d’ajouter celui de la gêne occasionnée par les travaux sur les commerces et les temps de circulation (Une étude de 2004 sur le tramway de la section sud du boulevard des maréchaux à Paris arrivait à un coût additionnel équivalent à celui de la construction).
Caractéristiques techniques
Le tramway circule majoritairement au sol, donc dans les voies urbaines, mais en site propre, c’est à dire sur voie réservée, sauf aux carrefours et dans certaines rues étroites.

De 1 voiture isolée, on est passé à des rames de 3, 7, jusqu’à 9 éléments articulés, pour une aptitude à prendre des courbes de rayon serré (~20 m), avec un faible effet de « ventre » (flèche en courbe). Les rames de 5 ou 7 éléments sont également attelables. L’accessibilité est maximale, meilleure que celle du métro, dont les parcours pédestres souterrains sont quelque peu dissuasifs. Un dénivelé de 5 cm à quai et l’intercirculation ou liberté de circulation longitudinale, permise par des articulations à soufflet, sont également très appréciables.
L’alimentation électrique, de 600 à 750 V selon les époques, est de 3 types :
- par ligne de contact aérienne
- par le sol
- par biberonnage en station.
Le type le plus répandu d’alimentation, la ligne aérienne, est jugé assez disgracieux particulièrement dans les quartiers de caractère. La double ligne des trolleybus, l’est encore plus. L’alimentation par le sol, assez fréquente jusqu’au début du 20ème siècle, a connu trois versions:
La première (1895) était constitué d’une ligne de plots affleurant la chaussée dans l’axe de la voie, portés au potentiel seulement au passage du véhicule par un système d’électro-aimant situé sous le véhicule. Du fait de son insécurité, il fut remplacé par l’ornière électrique, qui, donnant lieu à des courts-circuits, fut également abandonnée. Jusqu’à ce que réapparaisse dans les années 90, à Bordeaux, le principe initial, sous la forme de segments de rail, activés successivement par télécommande depuis la rame. Dubaï l’a adopté intégralement sur une ligne.
Le biberonnage(ci-dessus) est un système d’alimentation des tramways, applicable également aux bus électriques, qui permet de s’affranchir des lignes aériennes de contact. Il est de deux types :
-Par contact entre un petit pantographe qui vient au contact d’une plaque fixe soit au dessus, soit sous la caisse.
– Par induction, sous la caisse.
Dans les deux cas, les durées de stationnement, 15 s en station, 4 mn en terminus et 4 h au garage, suffisent à recharger les batteries. Ce système a un avenir certain.
UN TRAM-FUNICULAIRE HISTORIQUE
Le Cable-car de San Francisco est un tramway à câble entrant dans la catégorie des funiculaires [2].

Installé en 1873, détruit par le tremblement de terre de 1906, reconstruit, puis en déclin, remis en service en 1984 sous la pression des Sanfranciscains, il est classé National Monument. Le réseau n’est plus constitué que de 3 lignes totalisant 17 km.
Il présente les avantages et inconvénients des funiculaires : Rampes très fortes (20 % à SF, jusqu’à 100% en Suisse), charme, vue, motorisation en un point, mais vitesse (15 km/h) et débit faibles, croisements de ligne très complexe, coût d’exploitation élevé.
TRAMWAY SUR PNEUS
Il n’existe plus qu’un système de tramway sur pneus, le TRANSLOHR, fabriqué en Alsace et installé à Clermont-Ferrand, en Italie, en Chine et en Ile-de-France. Grâce à son guidage par pincement d’un rail unique central par des galets en V, il est capable de prendre des courbes de 11 m de rayon (tramway classique : 20 m) et ses pneus permettent de gravir des rampes de 13% (Tramways classiques : 9 %).
Son coût n’est pas moindre que celui d’un tramway pour des raisons de faiblesse de la taille des séries ; 150 rames Translohr contre environ 2000 pour la seule Alstom.
Son handicap est le caractère « propriétaire » du concept et le fait qu’il arrive tardivement dans l’histoire.
LE MÉTRO [3]
Caractéristiques techniques
Le métro est un système en site propre intégral, sans aucune mixité avec d’autres systèmes, installé majoritairement en tunnel, moins en viaduc (sauf Asie du Sud-Est).

Les rames vont de 26 m à 90 m, voire 200 m de long, sur 2,08 m (VAL 208) à 3 m de large, à emmarchement très faible (5 cm), et de plus en plus dotées de l’intercirculation (-> § Tramway). Le roulement est sur fer ou pneu selon la topographie. L’alimentation se fait par rail de courant latéral (Ligne aérienne rare).
La conduite est manuelle assistée mais depuis 2015, devient totalement automatisée. Dans ce cas, des portes dites palières en bordure de quai, assurent une protection anti chute des passagers à quai (Lille, Paris M14, M1).
Le niveau de sécurité est exceptionnel ; 100 fois moins de victimes que dans le cas du tramway. La capacité est élevée : 50 000 passagers par heure et par direction. (Tramway : 10 000) La vitesse également : 35 km/h (Tramway : au mieux 20 km/h)
Coût de construction :
Plus de 3 fois celui du tramway : Environ 100 millions d’euros par km, dont infrastructure : 63 %, système : 32 %. Gestion et divers : 5%. Plus de 80 villes sont équipées d’un métro dans le monde. * Les métros des pays de l’ex-bloc de l’Est peuvent être magnifiquement décorés (Moscou) et peuvent en outre servir d’abris antiatomiques.
LES MÉTROS À AUTOMATISME INTÉGRAL
L’automatisation intégrale permet une conception plus légère des rames tant en longueur qu’en largeur, mais s’applique aussi aux métros lourds. Elle permet une réduction de l’intervalle et des coûts d’exploitation, et par suite une exploitation 24 h/ 24 très intéressante dans le cas des aéroports (Chicago O’Hare) ou lors de manifestations exceptionnelles (Grande braderie de Lille).

Premier métro à automatisme intégral à Lille, en 83, le VALde MATRA SIEMENS est un système de véhicules légers montés sur des essieux simples (et non des bogies) sur pneus, dont l’adhérence autorise la prise de rampes importantes. L’ensemble permet des rames, donc des stations plus courtes.
Coût de construction :
Environ : 62 M€ / km, dont infrastructure : 40 %, système: 50 %, Gestion et divers : 10%.
LA CONGESTION
CAUSES
Paul Claval, écrit dans Théorie des villes:
| La congestion est due à la croissance des coûts : Le volume global des déplacements – et/ou les dépenses qu’il faut consentir pour satisfaire la demande correspondante – croît plus que proportionnellement avec la taille de l’agglomération. La congestion est en quelque sorte dans la nature même du phénomène urbain : Si seuls étaient à l’œuvre les effets d’échelle d’agglomération, la taille optimale des villes serait infinie et toute la population d’un pays serait rassemblée dans une seule grande agglomération. |
STATISTIQUES
Selon diverses études (INRIX, World Economic Forum, TOMTOM) les villes les plus embouteillées du monde seraient Los Angeles, Sao Paulo, Istanbul, Mexico, Rio de Janeiro, Moscou, avec des taux de surface occupée par des véhicules arrêtés allant de 50 à 58 %, et des temps passés dans les bouchons de 80 à 100 h par an par conducteur.
Paris arrive selon les instituts, entre la 8ème en la 22ème position. Avec 15 millions de déplacements par jour, dont 38% en auto (dont seuls 22 % sont justifiés, selon Paris.fr) et seulement 20% en transports en commun, Paris est donc une ville assez fortement circulée et donc polluée (alerte pollution 22 à 25 jours par an).
CONSÉQUENCES
Le coût direct individuel
En région parisienne, le coût global des embouteillages est de 17 milliards d’euros par an au niveau national, soit 1943 € par an pour chaque foyer. Ce coût inclut les coûts directs en carburant et en temps perdu*, et indirects.
| * La valeur de temps, facteur important dans le choix modal, est le plus souvent une donnée inconsciente, en tous cas informulée. On parle alors de valeur de temps révélée par le choix modal. On peut évaluer la valeur du temps de chaque tranche de population sans avoir besoin de la valider systématiquement par un sondage portant sur cette question. La valeur moyenne du temps prise en compte dans les études est de 11,7 € /h en 2018. |
Le coût de la pollution
Selon un certain nombre d’instituts, Planetoscope, France. TV education, paris.fr, airparif.fr, la pollution atmosphérique coûte en France plus de 100 milliards d’euros par an. Elle est la 3ème cause de décès prématurés (après le tabac) : 48000 par an. Parmi les causes: Outre le SO2 et les NOx, l’émission de PMxx [4] émises, en particulier par les moteurs diesel (40% des PM2.5).
LES TENTATIVES DE RÉSOLUTION
La disuasion de l’usage de l’auto
Beaucoup de villes ont choisi le péage urbain (Londres, Singapour…) et-ou l’alignement de la taxation du gazole sur l’essence. La ville de Paris a choisi la dissuasion, et ce par un certain nombre de mesures :
- Suppression progressive de tous les ouvrages d’art d’évitement (tunnel de l’Etoile, voies sur berges, etc.),
- Zones « 30 » (km/h) qui couvriront 100% des voies en 2020,
- Réduction du nombre de places de stationnement, et des surfaces de circulation (Zones piétonnes ou zones de repos, pistes cyclables géantes sous employées, circulation des 2 roues à contre-sens-interdit, stations Vélib et Autolib.
- Automatisation de la verbalisation des infractions au stationnement par les « sulfateuse à PV », ces autos munies de 4 caméras et d’une liaison avec les bornes de péage de stationnement.
- Beaucoup des 238 chantiers (à Paris en 2018) paraissent « fictifs » aux yeux des chauffeurs de taxis et des automobilistes (source : Le Parisien).
Il est permis de se poser les questions suivantes:
- Comment utiliser rationnellement les ouvrages désaffectés, qui représentent une valeur foncière et immobilière considérable ?
- Est ce que déplacer la pollution des zones centrales vers la périphérie apporte une réponse à la collectivité ?
PROSPECTIVE
Le réseau actuel fixe est déjà extrêmement dense et performant. A Paris l’inter-station moyenne des bus est de 350 m, celle des métros, 750 m (Londres, 1000 m ; Mexico, 1500 m).
Alors creuser ? Voler ? Les projets de transport sous vide à 1000 km/h sous terre (Hyperloop) ou les taxis autonomes volants (Dubaï) sont pour le moment des « éléphants blancs », des mythes comme l’histoire des transports en est remplie. Rien ne permet de démontrer que les niveaux de sécurité et de disponibilité de ces projets seront atteints à des coûts de développement et d’exploitation supportables par nos sociétés.
L’autobus thermique avec ses 40 passagers, émet 7 fois moins de GES[5] par heure et par passager, qu’une voiture, occupée par 1,2 personne.
Pour remédier à la congestion des villes, on pourrait comme le suggère Alphonse Allais, construire les villes à la campagne, mais plus réalistement, on devrait améliorer l’attractivité des transports en commun et l’organisation des transports individuels :
Amélioration des transports en commun
Elle passe par, l’amélioration du confort notamment thermique (air conditionné le plus écologique possible), de la sécurité par une télésurveillance et des services de sûreté conséquents, de l’accès aux PMR[6] et personnes chargées, particulièrement dans le métro.
L’automatisation intégrale,y compris des métros lourds est déjà une tendance forte. Elle est le gage d’une amélioration de la qualité de service (Ponctualité, fréquence).
La mise en traction électrique totale
des bus est aussi une tendance forte. On peut même envisager de d’appliquer le biberonnage à tous véhicules électrique ou hybride ayant un trajet programmé.
L’automatisation des tramwayspasse par la sécurisation de la reconnaissance de formes déjà en Recherche et Développment chez les constructeurs de véhicules autonomes (Google Car). Cette technologie pourrait toutefois s’appliquer aux taxis collectifs autonomes, en site partiellement protégé avec, puis sans guidage immatériel, mais pas avant une dizaine d’années.
L’auteur accorde toutefois moins de crédit aux « nouveaux » moyens de sustentation, guidage, propulsion (Applications au transports urbains des Transrapid, Maglev, Hyperloop) qui prétendent que la roue est dépassée.
Transports individuels
La voiture individuelle autonome a un avenir à très long terme et ce pour des raisons de responsabilité (Faudra t’il un permis de ne pas conduire ?) et de gestion de la transition.
Véhicules à louer par smartphone : L’expérience Autolib plombée par le vandalisme, a montré que le sens civique est trop faible du moins dans nos grandes villes, pour qu’un système de véhicules en libre service fonctionne dans des conditions économiques aceptables.
Gyropode, Gyroroue, E-Skateboard, HoverKart, e-Bike, trottinette électrique, le nombre de ces nouveaux véhicules électriques individuels explose sans que la réglementation suive. Questions non résolues : Quelles surfaces autoriser, quel niveau de sécurité ? Il faudra probablement une génération pour changer les mentalités en matière de savoir vivre et de prise en compte du risque.
[1] Un autorail sur pneus développé par MICHELIN roulant sur des voies classiques entre 1930 et 50
[2] Du latin funiculus, petite corde.
[3] Vient de Métropole, nom d’une compagnie d’exploitation d’une partie du réseau à Paris en 1900.
[4] Particle material, ou Particules fines de taille inférieure à xx μm.
[5] Gaz à effet de serre
[6] Personnes à Mobilité Réduite = Handicapés.